FINANCEMENT : MITI CNRS Adaptation du vivant à son environnement 2020 et 2021 : 48 000 €
Ce projet a pour objectif la compréhension de l’adaptation remarquable des champignons à un environnement fortement contaminant en étudiant les mécanismes de transfert de radionucléides lors des différentes étapes de leur développement. La détermination de la localisation et de la spéciation des actinides dans le mycélium et le sporophore, couplée aux connaissances de la biologie du champignon permettra d’identifier les transporteurs responsables de la bioaccumulation de ces métaux. Le projet « ACCRA » qui met en jeu un système complexe et jusqu’à présent méconnu, pourra être mené à bien grâce à une nouvelle collaboration entre radiochimistes spécialistes de la chimie des actinides à l’IN2P3 et l’INC, et des biologistes spécialisés en mycologie du LIED.
Au sein de la biosphère, les champignons jouent un rôle essentiel dans l’écosystème de par leur faculté à absorber les nutriments des substrats, nécessaires à leur croissance, mais également à biodégrader ces mêmes substrats. De nombreuses études ont démontré leur capacité à accumuler des métaux tels que l’arsenic, le cadmium, le plomb et le mercure (1-5). Du fait de leur grande dispersion géographique, leur abondance, leur grande variété et leur faculté de croître même dans des conditions extrêmes, ils sont de remarquables bio-moniteurs de pollution.
Yoshida, N. and Kanda, J., Science 2012, 336, 1115-1116
De nombreux radionucléides, d’origine naturelle ou anthropogénique, sont présent dans les différents réservoirs de l’environnement (lithosphère, hydrosphère, atmosphère et biosphère) et sont susceptibles d’interagir avec les champignons. Parmi ces radionucléides, les actinides (An) demeurent une préoccupation majeure des sociétés modernes nucléarisées. Les actinides sont des radioéléments, ce qui signifie que tous leurs isotopes sont radioactifs. Ils ont la particularité d’avoir un impact toxicologique important (toxicité chimique comme tout métal lourd à laquelle s’ajoute leur toxicité radiologique) et peuvent donc impacter le développement de la biosphère. Ils correspondent à la septième période du tableau périodique, soit à des numéros atomiques allant de Z = 90 à Z = 103 et au remplissage des orbitales électroniques 5f. La complexité de la chimie des actinides et, plus particulièrement celle de certains actinides de début de série, tels que le neptunium et le plutonium, conduit à une connaissance parcellaire de leur comportement au sein du vivant. En effet, les actinides les plus légers peuvent se trouver sous différents degrés d’oxydation. Par exemple, le plutonium peut être présent au degré d’oxydation +IV (peu mobile en absence de complexant) ou +V (mobile), chacun avec une réactivité spécifique conduisant à des interactions différentes avec les champignons. Le devenir des actinides est ainsi très fortement dépendant de leur spéciation et par conséquent du pH, de la force ionique, du potentiel redox mais également de la présence de ligands organiques présents dans le vivant pouvant favoriser leur mobilité. Même si de nombreuses études ont porté sur le comportement des actinides dans la géosphère et l’hydrosphère, les études sur l’interaction avec la biosphère sont rares bien que nécessaires, afin de disposer de modèles prédictifs robustes du comportement des actinides dans la biosphère. Finalement, l’interaction entre les actinides et les champignons mérite d’être explorée non seulement pour comprendre l’adaptation des champignons à des facteurs de stress tels que les actinides mais aussi pour de nombreux autres aspects, tels que l’évaluation de la contamination dans l’environnement, l’impact dans la chaîne alimentaire, mais également pour étudier les voies de bio remédiation plausibles.
Jusqu’à présent, la majorité des rares études se sont focalisées sur la détermination de concentrations d’actinide ou de facteurs de bioconcentration dans différentes espèces de champignons sans expliquer les mécanismes mis en jeu et l’impact sur le développement des champignons (6-13). La spéciation des actinides dans les champignons ainsi que leurs toxicités restent donc méconnues. Par ailleurs, de nombreux composants des champignons sont susceptibles d’interagir avec les actinides, notamment des polysaccharides, protéines, minéraux, acides aminés, fibres (chitine) et antioxydants (14, 15). Les rares études sur l’accumulation d’actinides dans des champignons sauvages (les macromycètes ou « gros » champignons), la plupart comestibles, concernent essentiellement l’uranium et le thorium. Toutes les études ont été réalisées sur des champignons collectés sur des sites contaminés ou non contaminés sans considérer les différentes étapes de leur développement (6-13). Le plus souvent dans ces études, une faible accumulation a pu être observée au niveau du sporophore. Les concentrations les plus élevées ont été observées dans le mycélium mais aucune explication sur les moyens d’adaptation du champignon à la contamination et aucun mécanisme n’ont été fournis. Les concentrations estimées varient souvent en fonction des espèces. L’absence de mécanisme est essentiellement due au manque de connaissance dans l’un des domaines, que ce soit la radiochimie ou la mycologie.
Le but de ce projet est d’étudier la spéciation et l’impact des actinides (U, Np, Pu) à différents degrés d’oxydation (+III, +IV, +V et +VI) lors des différentes étapes de développement du champignon dans le but de comprendre leurs mécanismes de transfert et d’accumulation. L’étude portera sur deux champignons : Podospora anserina et Coprinopsis cinerea. Ces deux champignons ont la particularité d’être facilement cultivables dans les conditions de laboratoire et de croître rapidement (une à deux semaines pour l’apparition des sporophores). Ils appartiennent à deux embranchements phylogénétiquement éloignés (ascomycètes et basidiomycètes) pouvant permettre une vision plus générale de l’accumulation des actinides par les champignons. De plus, la biochimie de ces champignons et les étapes de développement, particulièrement celles de P. anserina, sont parfaitement maîtrisées par l’un des laboratoires participant à l’étude. En effet, les biologistes du LIED ont une longue expertise de la culture et des expérimentations en mycologie, notamment P. anserina (16-20) mais aussi C. cinerea (21-23).
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